Vidéo avec transcription : “Pour intégrer les enfants sourds à l’école, la technique ne suffit pas”

Publié le par Sourds de la Baie des Anges & des Alpes Maritimes

Transcription faite par Anne-Christine Legris

 

Transcription de l'émission Mise au Point

Télévision Suisse Romande - TSR.CH

23 novembre 2008

20'05


La présentatrice : Un enfant sur mille né enfermé dans le silence. Avant l'âge de 18 ans ils sont trois fois plus. Pour leur permettre de s'intégrer en milieu scolaire on équipe les jeunes sourds d'implants cochléaires : une technique qui change leur vie mais qui ne résoud pas tous leurs problèmes d'où la nécessité d'apprendre malgré tout un langage spécifique et tout le monde n'est pas d'accord, reportage Sabine Kennel.

 

(Musique - Image de Olivier)

 

Anne-Catherine Merz : Je trouve extraordinaire qu'il soit né à une époque où l'implant existe et tant mieux qu'il y ait des personnes qui aient développé cette technologie ; simplement c'est juste de la tech-ni-que (elle prononce ce mot en articulant), ça peut tomber en panne pi même quand ça marche super bien, on parle un peu trop vite l'enfant comprend rien, parce que tout se mélange et y reçoit de la mélasse dans la tête…

 

(Musique - Image de Anais- Image de Camille)

 

Caroline Avert : Quand tout est calme, quand on est en face d'elles, qu'on prend le temps de les regarder, ça pose aucun problème. Mais dès qu'on a autre chose de l'extérieur qui arrive et ben c'est fini. Et c'est là tout ce qui est compliqué d'expliquer aux gens et que les gens ne se rendent pas compte. C'est que…voila, ça tient à un fil.

 

(Musique - La mère de Camille : Oh t'as fait un beau dessin, salut ! Ca va ? Elle l'embrasse. Oui ? A Anais : Salut ! Elle l'embrasse)

 

La journaliste en voix off : Avant les sourds étaient des enfants du silence.

Aujourd'hui difficile de voir qu'elles sont sourdes. Elles parlent, elles ont des électrodes implantées dans la tête reliées à une petite pastille là, rouge là, sur la tête de la petite fille. L'implant leur permet d'entendre mais ça n'enlève pas le handicap de la surdité.

 

Implant d'enfer ?

 

La journaliste en voix off : Un enfant sur mille né sourd profond. Depuis les années nonente (1990) on les opère presque systématiquement. Camille a été implantée toute petite,  Anais il y a un an. Elles n'entendent pas tout loin de là.

 

Caroline Avert  (qui parle de la cuisine) : T'as pris ton cahier de TP ?

Anais  Avert : J'ai pas compris…

Caroline Avert : T'as pris ton cahier de TP ?

 

(Image de Camille dans les bras de son père)

 

La journaliste en voix off : Elles ont l'air normales mais elles ont des besoins de soutien et les parents doivent lutter pour faire reconnaître ce handicap très discret.

 

(Image de Christophe Avert qui embrasse sa femme. Lui : Ca va ? Elle : Ouais et toi ?)

(Image de Camille et Anais Avert)

 

Anais Avert : Faut enlever tous les cheveux, après, on, c'est…on peut mettre différemment mais ça ça sert pour tenir l'implant (elle montre son aimant)  c'est ça que j'entend avec (elle montre le contour de son oreille gauche) puis ça c'est pour tenir les piles de l'appareil…

 

Une voix féminine : C'est un aimant là ? Attends je vois pas…

Camille Avert : Oui c'est un aimant. Une fois le mien, il s'est collé au frigo

 

(Rires)

(Image d'une tête grise d'avatar en 3D)

 

La journaliste en voix off : C'est une opération lourde, intrusive.Une vraie machine futuriste implantée dans la tête. A l'extérieur un micro capte les sons qui les transmet à un processeur. Ce que l'on entend est transformé en impulsions électriques. A l'intérieur de la tête la bobine transmet ces informations à des électrodes glissées dans le colimaçon de la cochlée. Ces impulsions passent dans le nerf auditif qui interprète ça comme un langage. Mais attention ça ne restitue pas tout, tout est amplifié.

Bonjour dans les lieux bruyants où plusieurs personnes parlent en même temps.

 

(Image de la famille Avert autour de la table)

 

Caroline Avert : Papa il va manger de la fondue vigneronne. Tu sais ce que c'est ?

Alors on leur parle normalement mais c'est que là euh..il suffit que je coupe en même temps que je parle ou je les regarde pas correctement ce sera des “Hein ?” “Quoi ?” “J'ai pas compris” ou bien : “Hein ? Bateau qu'est-ce que tu parles de bateau, quoi ?” Voila. Donc c'est toujours, elles ont toujours, elles entendent certaines choses mais pas précisément

 

Christophe Avert : Ce qu'il y a aussi parfois c'est que, les gens ont envie peut-être pour pas nous blesser de nous dire qu'elles entendent normalement et qui ya pas de problème.  Et puis nous c'est pas ce qu'on veut entendre. On sait qu'il y a des problèmes, on sait où sont les problèmes, on sait que si on va au cinéma avec elles y aura des problèmes parce qu'elles vont pas entendre le film, pas comprendre le film, on sait que si elles regardent la télé elles ne vont pas comprendre la télé, donc tout ça c'est des éléments qui pour nous sont important pour faire la différence.

 

Caroline Avert à Camille : C'est quoi ? (Elle code) S.A.N.D.R.O

 

La journaliste en voix off : Pour combler ces manques, les enfants apprennent à lire sur les lèvres aidés par des gestes codés qui soulignent toutes les nuances. La main complète les syllabes on appelle ça le langage parlé complété, le LPC ( images de Caroline Avert qui signe à Camille) rien à voir avec la langue des sourds. Cette facon de coder la parole, la famille a dû se débrouiller seule pour savoir que ça existait et pour l'apprendre.

 

(Musique - Tim - Loïc - Mathieu - Alexandre - Grégory - Nicolas - Mickaël - Olivier)

 

La journaliste en voix off : Olivier est l'implanté de la classe. Il est intégré au cursus scolaire normal. Pour conserver le niveau des autres il lui faut un appui spécialisé.

Sinon, retour en institution. Et lui préfère…

 

Olivier : Euh…Etre dans une école d'entendants parce que l'école des sourds à mon avis j'crois que ça serait un petit peu trop simple pour moi.

 

(Image de classe)

La journaliste en voix off : Dans la classe d'Olivier il y a une présence inhabituelle : une codeuse-interprète. Elle est payée par l'assurance invalidité, le canton et une fondation privée. Olivier entend un petit peu le prof, lit sur les lèvres de l'interprète. Elle, elle code les mots en langage parlé complété le LPC. Si le prof a le dos tourné ou s'il y a du bruit dans la classe, Olivier ne perd pas le fil. La codeuse n'est pas là tout le temps. Son mauvais remplacant c'est le micro, pas vraiment satisfaisant.

 

Stéphane Gendre : Je l'applique simplement sur l'oreille comme ça, c'est un micro qui est minuscule ici et qui est directement relié aux appareils qu'il porte derrière l'oreille.

 

Olivier : Même avec le micro parfois j'ai de la peine à comprendre ce que dit le prof. Ou bien les questions qu'on nous pose moi je les comprend pas donc euh quand il y a le code elle peut me coder et là je peux les comprendre, c'est plus simple.

 

(Image d'un couloir avec au sol un tapis rouge marelle et d'une femme qui passe)

La journaliste en voix off : L'intégration des enfants sourds en Suisse romande ça concerne une centaine d'élèves. C'est la fondation A Capella qui s'en occupe. Le but ? Mieux intégrer les codeuses-interprètes.

 

Line Membrez (Logopédiste) : Une classe c'est bruyant c'est extrêment bruyant. Un p'tit stylo qui tape comme ça, ( elle tape plusieurs fois sur la table)  une chaise qu'on tire, un store qu'on baisse…ya pleins de petits bruits parasites comme ça qui fait que l'enfant implanté avec une bonne récupération ya des tas de moments où il a des, des, des des absences, des lacunes dans ce qu'il entend.

 

(Image de la classe)

 

Le professeur : …que le violon magique…

 

La journaliste en voix off : Le langage parlé complété ce fameux LPC  passe mal auprès des spécialistes de l'implant. Ils prétendent que les enfants implantés n'en ont pas besoin. D'abord farouchement opposé à toute méthode d'appui comme le LPC, le docteur Cherpillod a changé d'avis. Ce n'est plus la méthode qu'il critique mais sa fréquence.

 

Le Dr. Cherpillod (Médecin chef du service ORL) : Je suis totalement opposé à la systématique pour une méthode d'aaapuuui euh…on sait bien qu'un enfant qui est malentendant et un enfant implanté ça reste un enfant modérément malentendant ce qui signifie que il doit quant même se concentrer un peu plus qu'un enfant entendant, qu'il sera plus gêné s'il y a du bruit ; on sait que tous les enfants malentendants même les malentendants très modérés…euh…ils complétent un peu en lecture labiale ils doivent se concentrer davantage pour avoir le sens des phrases intégralement et on sait qu'y en a un certain nombre ou la quasi totalité qui au bout d'un certain temps décrochent à l'école.

Ils ont besoin de se reposer ils ferment les écoutilles un moment. Et je peux imaginer qu'au bout d'un moment de fatique après une concentration intense durant plusieurs heures un p'tit coup de pouce supplémentaire par quelquechose de non auditif aide mais encore une fois c'est complétement individuel.

 

Line Membrez : Le LPC c'est RIEN sans la langue française. On précise au niveau de la lecture labiale, donc c'est une précision de ce que l'enfant écoute. Quand l'enfant entend mal ou perçoit mal quelquechose il a une première précision par la lecture labiale et une deuxième par le code qui va faire qui peut distinguer que c'était pas un peeeuuu mais un meeeuuu ou un beeuuu parce que sur les lèvres c'est la même chose.

 

(Musique)

 

La journaliste en voix off : L'intégration dans une école normale a un prix. Olivier est très sollicité pendant toute la journée. Il a besoin de plus d'attention que la moyenne des élèves donc plus d'aide.

 

(Image de Olivier et de ses parents chez lui)

Anne-Catherine Merz : Fais pas comme si t'existais pas on t'vois entrer hein ?

 

(Rires)

 

Annette Crisinel (grand-maman de Olivier) : Je pense que c'est un enfant qui est beaucoup plus fatigué qu'un autre et que, on doit mieux informer les gens qui ont à faire avec lui que ce soit l'école ou n'importe quoi sur les limites de ses possibilités et ce qu'il y a un tout petit peu inquiétant c'est pour son avenir parce que comme il est très intelligent il a envie d'aller plus loin dans ses études et comment il va tenir le coup ? (elle insiste sur ce terme).

Souvent il me dit : “Tu sais grand-maman, de temps en temps je débranche”. Et comme il a beaucoup d'humour il me dit : “C'est une chance par rapport à toi c'est que, quand j'en peux plus je peux (elle insiste sur ce mot) débrancher.”

 

(Image de Olivier avec sa mère chez lui)

 

Anne-Catherine Merz : Depuis quant t'as plus de piles ?

Olivier : Quoi ?

Anne-Catherine Merz : Tu en avais plus déjà aujourd'hui ? Oh non…

 

La journaliste en voix off : Olivier reste un enfant sourd avec un handicap. Sans appareils il retourne dans le silence le plus total.

 

Anne-Catherine Merz : Ces enfants là quand ils s'endorment ils ont pas leurs appareils, ils se retrouvent tout seuls dans la nuit. Quant on sait comment ça peut être difficile l'endormissement d'un enfant normal, tous les soucis que peuvent avoir les parents par rapport à ça…euh…les spécificités de l'enfant sourd qui d'un instant à l'autre s'est plongé dans le silence, ben ça c'est quelquechose qu'ils ont en commun.

 

(Image de Olivier et de son père chez lui au moment des devoirs)

Olivier : (récite une leçon d'allemand) Die…

Le père : non…Die (le reprend sur la prononciation)

La mère : Regarde Olivier. Si on code ça fait : …(elle code)

 

La journaliste en voix off : La seule béquille qui ne tombe pas en panne c'est le code et qui remédie à toutes les situations difficiles à la maison comme à l'école.

 

Anne-Catherine Merz : L'école normale, bien sûr c'est génial ! Tant mieux parce que c'est…y vont vivre dans la société entre guillemets “normale”. Mais reconnaissons que c'est super fatiguant et puis que euh…qu'il y ait des codeuses, qu'il y ait du soutien c'est important et…je comprend pas très bien pourquoi il y a des gens qui souhaitent euh…gommer ça. J'ose espérer que c'est pas des histoires d'argent parce que ça serait quant même pathétique mais euh…je sais pas.

 

(Image de Olivier et de son professeur de percussion)

 

Le professeur : Pour faire la première rythmique on la tourne…

 

La journaliste en voix off : On a sorti les sourds des institutions, du silence, on les a fait entendre, parler, reste à leur donner tous les moyens pour réellement s'intégrer.

 

(Image de Olivier et de son professeur de percussion)

 

Le professeur : 3…4…

 

Anne-Christine Legris


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